Ahmad Tourson fait partie du petit groupe de Chinois de la minorité ouïgoure – musulmane et turcophone –, soit vingt-deux hommes au total, arrêtés par erreur, fin 2001, en Afghanistan. Bien que finalement blanchis de toute accusation de terrorisme par l'administration américaine, ils ont passé plusieurs années à Guantanamo.
Cinq d'entre eux y sont encore, la Cour suprême des Etats-Unis ayant rejeté, lundi 18 avril, leur recours. Ahmad Tourson, lui, a été libéré : le 1er novembre 2009, il a été accueilli, avec cinq de ses codétenus, sur l'archipel des Palaos, dans l'océan Pacifique, les autorités locales s'engageant à donner aux exilés l'aide nécessaire (logement, formation, apprentissage de l'anglais, soins médicaux, logement, etc.), afin d'assurer leur intégration. Trois autres pays – la Suisse (deux ex-détenus), l'Albanie (cinq) et les Bermudes (quatre) – ont fait de même.
Parmi les rapports d'interrogatoire américains, révélés par WikiLeaks et consultés par Le Monde, celui d'Ahmad Tourson, daté du 7 janvier 2005, présente une particularité. Le détenu ouïgour, matricule 201, né le 1er janvier 1971 dans la province de Xinjiang, en Chine, a été amputé de la jambe gauche, "en-dessous du genou", juste avant son transfert sur la base américaine de l'île de Cuba.
Durant les trois premières années de sa détention, Ahmad Tourson a été examiné quatre-vingt-cinq fois par l'équipe médicale de la base militaire. Il a fait de "grands progrès" dans l'usage de sa prothèse, relève-t-on.
"DEUX JOURS DE FORMATION MILITAIRE"
Jugé d'une "valeur moyenne" pour le renseignement, ne présentant qu'une"menace faible" pour "les Etats-Unis, leurs intérêts et leurs alliés", le détenu unijambiste n'en reste pas moins, en ce début 2005, considéré comme un"combattant ennemi".
C'est en septembre 2000, en Chine, "alors qu'il fait la queue pour obtenir un emploi", qu'Ahmad Tourson est arrêté par la police chinoise. Le motif de cette interpellation demeure "peu clair". Le jeune homme, marié et père de deux enfants, décide de quitter le pays. Il gagne, en taxi, le Kirghizstan voisin, puis, par avion, le Pakistan – où il devient membre du Mouvement islamique de l'est du Turkestan (MIET), classé parmi les "groupes terroristes" et "anti-US".
Il rejoint finalement, par autobus, l'Afghanistan : il s'installe à Kaboul, dans une "maison d'hôtes" où sont logés une centaine de ses compatriotes ouïgours, membres, comme lui, du MIET. Il y reste jusqu'en octobre 2001 et travaille comme employé de bureau : il "met dans l'ordinateur les informations qu'on lui dicte". Le fait qu'il ait fait venir sa famille auprès de lui, à Kaboul, au début de l'année 2001, sera considéré, par certains interrogateurs américains, comme "l'indication d'un rang important" parmi les membres du MIET.
Le détenu, lui, affirme n'avoir reçu que "deux jours de formation militaire, sur de petites armes", avant d'être envoyé "au front", au moment où l'armée américaine commence à bombarder l'Afghanistan. Devant l'intensification des combats, Ahmad Tourson s'enfuit, avec d'autres, vers Konduz, par la route. Le véhicule est arrêté par les forces du général Dostum (chef de guerre afghan, proche du président Hamid Karzai).
UNE VIOLENTE RÉVOLTE ÉCLATE
Ahmad Tourson est jeté en prison à Mazâr-e Charif, parmi des centaines d'autres combattants ou supposés tels. Une violente révolte éclate à l'intérieur de la prison : Ahmad Tourson est blessé gravement – ce qui conduira à l'amputation partielle de sa jambe gauche. Secouru par la Croix Rouge, le jeune Ouïgour sera ensuite livré aux forces américaines – qui le transfèrent à Guantanamo le 21 janvier 2002.
A l'issue des premiers interrogatoires, Ahmad Tourson est identifié comme ayant eu un rôle d'"entraîneur" et de "dirigeant" à l'intérieur du camp des combattants ouïgours des montagnes de Tora-Bora. Après vérifications et recherches croisées, l'administration américaine reconnaît qu'aucun document corroborant ces accusations n'a pu être trouvé.
Malgré les recommandations faites par les officiers de la base militaire de "libérer ou de transférer dans un autre pays, où il sera maintenu en détention", l'unijambiste de Guantanamo a passé près de huit ans enfermé à Cuba. Avant de s'envoler pour d'autres îles, les Palaos, où il vit "libre", mais dont il ne pourra vraisemblablement jamais partir.
Catherine Simon /Le Monde
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